On l'appelait ironiquement "Verre d'eau".
Auguste était un vieil ivrogne sans nom.
Hydraté dès le lever avec la pire des piquettes, la matinée se terminait
invariablement dans une noyade de tonnerre et de feu, la grosse gnôle prenant
vite le relais des p'tits canons...
A travers cette voluptueuse agonie de sa conscience le buveur nageait, tour
à tour hilare, hébété, larmoyant, dans ce qui semblait être son véritable
élément : un univers sinistre d'amnésie tranchante et de gaité frelatée.
Soixante-cinq ans que cela durait. Une existence entière vouée à
l'ivrognerie la plus crasse.
L'on s'étonnait d'ailleurs que "Verre d'eau" fût encore de ce monde après
cette longue vie arrosée des pisses de Bacchus.
Mais il était solide l'Auguste ! Faut-il qu'il y ait un Dieu pour les
assoiffés sans fond... Il est vrai qu'il avait survécu aux tranchées de la "14".
A le voir ainsi, lamentable, abreuvé d'indignité, dégueulant son ivresse, qui
l'eût cru ?
Après avoir traversé l'enfer de la Grande Guerre, qu'est-ce qui aurait donc
pu l'abattre ? Pour ce passé héroïque on pouvait bien lui pardonner son vice, au
vieil Auguste... Son statut de vétéran le maintenait malgré tout en estime dans
le coeur de ses concitoyens navrés de le voir chanter ses "gnôleries" du matin
au soir.
Lui, ne parlait jamais des tranchées. Soûl à toutes heures de sa vie,
comment aurait-il pu tenir une conversation cohérente sur quelque grave sujet ?
Même lors des commémorations annuelles, il recevait l'accolade du maire
l'haleine chargée de tous les alcools du diable... Se souvenait-il encore au
moins de sa jeunesse dans la boue des combats ?
"Verre d'eau" finit par mourir dans un dernier hoquet désespéré dédié à la
vigne qui, depuis l'âge de vingt-deux ans, l'avait aidé à vivre.
A oublier surtout.
Il buvait comme un trou depuis l'âge de vingt deux ans... C'était en 1918,
la fin de la guerre. Celui que désormais on allait bientôt surnommer
malicieusement "Verre d'eau" venait d'être démobilisé. Vingt-deux ans et déjà
toute l'horreur des tranchées dans le regard.
Pauvre "Verre d'eau" ! Homme pitoyable, misérable, lamentable, mais surtout
âme sensible brisée en pleine jeunesse... Qui aurait pu deviner son secret
d'ivrogne ?
On inhuma bien vite le défunt sans famille.
Nul ne sut que ce sobriquet de "Verre d'eau" sonnait aussi juste chez lui,
deux syllabes lourdes comme le son du glas, sombres tel le chant fatal de
l'airain...
"Verre d'eau" : des sons clairs et sereins si proches des sons de l'enfer.
Des sons qui, ironie du destin, rappelaient son drame, poignant.
Car le drame de "Verre d'eau" c'était...
Verdun.
Bonjour, m'autorisez-vous à utiliser le surnom "Verre-d'eau" pour une nouvelle que j'ai l'intention de publier... Plus d'infos en me contactant sur mon blog...
RépondreSupprimercordialement,
SylvieDam
Sylviedam,
SupprimerJe ne suis pas propriétaire des mots, le verbe est libre, il est à usage universel pour l'Humanité entière, la propriété intellectuelle est à mon sens une corruption de l'esprit, une hérésie. La pensée est comme une âme pure, elle ne se commercialise pas. Vous interdire d'utiliser le surnom "VERRE D'EAU" serait de ma part une absurdité doublée d'un crime contre la liberté du verbe, même si cette aberration est légale... Par conséquent, exercez sans entrave votre liberté de penser, d'écrire, de chanter.
Ne me demandez pas la permission d'utiliser tel ou tel mot, je ne suis pas le créateur du monde et du langage humain.
Raphaël Zacharie de IZARRA