mardi 21 avril 2015

12 - Des noms périmés

Ils s'appelaient Gustave, Alphonse, Auguste, Octave, Gontran, Alfred, Eugène. Leurs noms sont gravés sur des grandes plaques dans le cul des églises de province. Qui les prononce encore, ces noms d'un autre âge qui sentent l'hospice, le vieux béret et les grasseyements ?

Les porteurs de ces noms gravés devenus obsolètes ont pourtant eu vingt ans, eux aussi. Et ces vingt ans-là se sont brisés dans des tranchées. Sans même le piteux espoir de finir un jour à l'hospice. On se souvient des masses indistinctes de soldats tués, des régiments décimés, des troupes de combattants sacrifiés. Mais qui se souvient des individus, des Eugène, des Alphonse, des Auguste, de tous ces destins anonymes et pathétiques qui ont fini sur des listes dans les églises ? D'ailleurs les églises sont désertes et presque plus personne ne s'attarde devant ces rangées de noms gravés.

Moi j'y lis la moustache d'Eugène, la casquette de Gustave, la pipe d'Auguste : des choses qui nous ressemblent, à presque un siècle de distance. J'y lis le sort humble et pénible de ces appelés arrachés du sillon, du foyer ou des bras de l'aimée. J'y lis les vingt ans d'Auguste, de Gustave, d'Alphonse, d'Eugène, de Gontran, d'Octave, d'Alfred, leurs maudits, damnés, poignants vingt ans massacrés dans les tranchées de la «14».

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".