mardi 21 avril 2015

7 - L'abreuvoir

C'était un gars comme elle les aimait. Un peu marin, un peu canaille, avec une odeur de foin dans les cheveux. Vivant à la bohème, il se louait de ferme en ferme, de temps en temps. Il n'avait pas son pareil pour convaincre les plus rétives : toutes succombaient à son charme. Il séduisait les filles de ses patrons, lorsqu'elles étaient à son goût, laissant derrière lui soupirs et langueurs. Et un parfum de mystère aussi.

Gertrude, la fille du fermier, avait des vues sur le nouveau commis. Le soir-même elle lui offrit son hymen. Il ne le refusa point. Il demanda cependant un dédommagement : la dévergondée était laide. Elle lui accorda six sous. Il les refusa en lui crachant au visage. Il voulait l'abreuvoir à vaches du père. Celui qui trônait au milieu de la cour de ferme, splendide, avec des cales larges et des rebords élégants. Gertrude prit peur, pleura, supplia l'infâme de ne pas exiger d'elle pareil sacrifice... Rien n'y fit, l'amant réclamait son abreuvoir en échange de ses services malhonnêtes. Elle dut céder. L'autre s'éclipsa dans la nuit, tirant péniblement derrière lui son butin indu.

Le lendemain Gertrude dut expliquer au père les circonstances de la disparition de l'abreuvoir. Le scandale fut énorme. On la maria promptement au garde-champêtre qui racheta un abreuvoir neuf au fermier. Six ans ans après le garde-champêtre mit la main sur le dissolu qui n'avait en fait jamais quitté le canton. Les faits étant prescrits par la loi depuis un lustre, il fut aussitôt relâché. Il mourut quatre ans plus tard dans les tranchées de Verdun, en 1917. Aujourd'hui on peut lire son nom sur le Monument aux Morts du village voisin où s'est passée cette triste histoire : Alphonse Foisselle.

VOIR LES DEUX VIDEOS :

https://www.youtube.com/watch?v=eM0DR0MoKxU

https://www.youtube.com/watch?v=zf7jLSotT5c

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L'auteur du blog

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J'ai embrassé tous les aspects du monde, du gouffre le plus bas au sommet le plus glorieux, de l'anodin au sublime, de la bête au divin, du simple caillou à qui j'ai donné la parole jusqu'au fracas galactique que j'ai réduit au silence devant un battement d'aile. Je suis parti du microcosme pour me hisser jusqu'aux astres, sans omettre de poser mon regard à hauteur de vos boutons de chemise. J'ai exploré les vices les plus baroques autant que les vertus les moins partagées, je suis allé sonder les petits ruisseaux mentaux de mes frères humains mais aussi les fleuves nocturnes de mes chats énigmatiques. Je suis allé chercher le feu olympien à droite et à gauche, m'attardant à l'occasion sur mes doigts de pied. J'ai fait tout un fromage de vos mesquineries de mortels, une montagne de mots des fumées de ce siècle, un pâté de sable de vos trésors. L'amour, la laideur, la solitude, la vie, la mort, les rêves, l'excrément, le houblon, la pourriture, l'insignifiance, les poubelles de mon voisin, le plaisir, le vinaigre, la douleur, la mer : tout a été abordé. J'ai embrassé l'Univers d'un regard à la fois grave et loufoque, limpide et fulgurant, lucide et léger, aérien et "enclumier".